Photo crédit: Michel Gobeil - Le soleil |
À la mine
à ciel ouvert du Mont-Wright, à une quinzaine de kilomètres de Fermont, depuis
peu avancent tout tranquillement de gigantesques hannetons jaunes. Ce sont les
camions de 400 tonnes d'ArcelorMittal, les deux seuls qui existent au Québec,
avec des bennes qui peuvent contenir l'équi valent d'un immeuble de deux étages.
Aussi bien s'y faire : tout est disproportionné au
royaume nord-côtier du minerai de fer. L'équipement des mines est gros; les
salaires sont gros; les trucks sont gros.
Imaginez une toute petite localité de 2800 âmes où
vous auriez de l'argent pour construire cinq colisées ou encore un CHUM
flambant neuf. Eh bien, vous avez une idée des investissements - et de
l'agitation - qui s'abattent sur Fermont.
L'ampleur des capitaux consacrés aux nouveaux
projets miniers donne le tournis. Au printemps, ArcelorMittal a dévoilé un
projet d'agrandissement de la mine du Mont-Wright de 1,2 milliard $ et 900
millions $ à l'usine qui traite le minerai à Port-Cartier, sur la Côte-Nord.
Pour lancer l'autre mine de Fermont, celle du lac
Bloom, l'américaine Cliffs Natural Resources - qui l'a achetée, il y a un an,
de Consolidated Thompson - a investi 600 millions $.
C'est sans compter la mine de fer que «menace»
d'ouvrir Champion Minerals, aux portes de la ville. Si ça se concrétise, ce
serait 1 milliard $ de plus.
Des investissements de capitaux privés de plus de 2
milliards $ au Québec, le ministère du Développement économique n'en répertorie
que deux, pour les cinq dernières années : par Rio Tinto, à Alma, au Saguenay,
en 2006, et par Bombardier, à Mirabel, au nord de Montréal, en 2008. Et voilà
que Fermont est assurée de recevoir 1,8 milliard $. Signalons pour mémoire que
l'aventure du Stade olympique à Montréal a coûté
1,5 milliard $ aux
contribuables...
En ville, c'est le cas de le dire, les Fermontois
roulent carrosse. Lorsque Geneviève Lajoie, la jeune administratrice de l'Hôtel
Fermont et du centre commercial, a reçu la visite de son père, venu de Québec,
elle s'est fait dire que «[son] parking», c'est un vrai «showroom de
F-100», les gros camions de Ford. Les utilitaires sont partout visibles,
d'autant qu'ils arborent souvent un fanion pour se faire voir par les
mastodontes lorsqu'ils s'aventurent sur les sites d'exploitation minière.
Les 400 tonnes sont l'exception qui roule. En fait,
ils ont une capacité telle que la compagnie ne s'en sert que pour charrier la
pierre stérile, moins lourde que le minerai de fer.
Pour amener celui-ci au concentrateur qui broiera
la roche, ArcelorMittal - tout comme Cliffs - se sert de modestes 125 tonnes.
Le genre de véhicules avec une échelle pour accéder au siège de chauffeur, qui
fait de si belles images à la télé les jours d'inauguration.
Il faut une formation spéciale pour conduire ces
monstres - et les réparer. Rareté et prix allant de pair, les salaires sont
très intéressants.
De la forêt aux mines
Pudiquement, les représentants du syndicat des
Métallos refusent de divulguer la rémunération de leurs membres. Un mécanicien?
«Ça fait facilement entre 85 000 $ et 100 000 $», glisse Pierre Thibodeau, le
président du local 5778.
Chef de section à l'atelier de réparation format
géant, Éric Pouliot signale que 57 nouveaux ont été embauchés, ces derniers
mois. «Ils sont tous restés. T'es pas intéressé de quitter quand tu fais 80 000
$, 100 000 $» et que «tu sors de l'école».
Méchant aimant pour attirer la main-d'oeuvre. En
mai, ArcelorMittal y est allée d'une campagne de publicité inédite où elle se
limitait presque à énoncer, sur plusieurs jours, le slogan «Transformer l'avenir».
L'offensive renvoyait au site de recrutement.
Résultat, rapporte le directeur des communications de la multinationale, Éric
Tétreault, une avalanche de 8000 CV.
À l'atelier, Éric Pouliot compte sur une couple de
recrues de la région de L'Amiante, où le secteur minier, lui, est confronté à
un avenir fort incertain. Mais le gros des effectifs vient du monde de la
forêt, aux prises avec une récession qui perdure depuis 2005 dans toutes les
régions du Québec.
Chez Cliffs, dont la mine de fer est la première à
démarrer au Québec en 37 ans, même scénario. Claude Veilleux travaillait à
l'usine de pâtes et papiers d'AbitibiBowater à Dolbeau, jusqu'à sa
quasi-faillite. Usine pour usine, il a pris son abonnement pour monter à
Fermont.
Pour hommes surtout
Le climat fermontois n'est pas seulement
industriel, il est mâle. Sur le site des deux mines, on y croise bien quelques
femmes, mais elles sont minoritaires.
Il y a des chiffres qui ne mentent pas. Le portrait
socioéconomique de la municipalité révèle que c'est dans la MRC de La
Caniapiscau, qui comprend aussi la localité beaucoup moins riche de
Schefferville, que se trouve le salaire moyen le plus élevé pour un travailleur
: 71 761 $. Tout près de 18 000 $ de plus que la seconde MRC où le salaire est
le plus élevé, Thérèse-de-Blainville, au nord de Montréal.
Et vous savez quoi? Ce «revenu d'emploi moyen» est
considérablement plus élevé chez les hommes de la région de Fermont - et
l'écart encore plus grand avec les autres régions.
La rémunération est 92 798 $ dans cette MRC du
Nord. Pratiquement 27 000 $ de plus que pour les travailleurs de
Thérèse-de-Blainville. Et ces chiffres datent de 2008, d'avant l'exploitation
du gisement du lac Bloom et d'avant l'annonce d'agrandissement des
installations du Mont-Wright.
Le Soleil a
croisé quelques «anciens» de la ville qui se rappellent que Fermont a été à
deux doigts de fermer, au début des années 2000, lorsque le marché du fer était
à son plus mal. Certains se montrent prudents par rapport à l'avenir.
Mais la majorité n'ont pas de crainte que la ruée
vers le fer cesse. Il y a les projets de Fermont, mais il y en a ailleurs. Comme
celui du groupe Adriana, qui songe à investir 13 milliards $ au nord de
Schefferville, au Nunavik, pour exploiter un gigantesque gisement de fer
pendant un siècle!
Ces idées font rêver les Fermontois. Ils voient
très bien leur municipalité devenir l'avant-poste de l'industrie minérale
québécoise. Ils réalisent qu'aucune compagnie ne bâtira une authentique ville
comme l'avait fait la Quebec Cartier Mining, en 1974, avec Fermont.
Mais le Plan Nord du gouvernement Charest recense
11 projets d'exploitation de gisement, rappelle Pierre Thibodeau, des Métallos.
«Il faut que nous devenions le pivot» du développement nordique, dit-il, en
signalant qu'il ne manque que 50 km pour compléter un lien routier avec
Schefferville. «Nous sommes là pour rester.»
Un mur une ville
est l'histoire d'une ville que le fer a mise au
monde et qu'un mur a rendue célèbre. Et même 37 ans après sa naissance,
impossible d'aller à Fermont sans parler du «mur».
Cet intrigant aménagement est né avec la ville
minière, installée à plus de 400 kilomètres «en haut» de Port-Cartier, sur la
Côte-Nord. Il est unique en Amérique du Nord. Il n'y en a semblables qu'en
Suède, peut-être en Russie.
Assez ingénieux, merci! Il s'agit d'un bâtiment de
plus d'un kilomètre, en forme de V dont la pointe est dirigée face aux vents
dominants (nord, nord-est) très froids, en hiver.
Derrière ses trois, quatre étages, la minière
Québec Cartier, par qui la municipalité a été fondée, en 1974, a bâti les
maisons qui continuent d'accueillir les familles des travailleurs. Comme tout
partait de zéro, les rues du quartier résidentiel ont aussi été pensées en
fonction de la température nordique et des tempêtes de neige.
Le mur, lui, abrite des logements, dont les
fenêtres les plus petites s'ouvrent vers le nord. À l'arrière, c'est un peu
balconville. Mais c'est surtout la vie commerciale et communautaire qui s'y est
réfugiée.
Centre de santé, polyvalente, police, garderie,
mairie, aréna, piscine, boutiques, restaurants, coopérative alimentaire, hôtel,
restaurants, brasserie et même - nous nous excusons auprès des Fermontois de
l'écrire - un bar de danseuses animent le mur. La liste n'est pas exhaustive.
C'est à la fois un sujet qui rend mal à l'aise tout
en étant source de fierté. Malaise par crainte de susciter la moquerie.
«Surtout parlez-moi pas [comme l'a fait un animateur de Radio-Canada,
semble-t-il] qu'on fait nos emplettes en pantoufles!» s'emporte Réjeanne Le
Bloch, coordonnatrice à l'accueil chez ArcelorMittal.
Le mur est un «concept unique, mal connu et,
pardonnez-moi, mal perçu», tient-elle à préciser. Un concept qui fait que tout
est parfaitement à l'abri des caprices de la météo, à cinq minutes des usagers,
quel que soit l'usager, quel que soit le service public.
Par Michel Gobeil - Le Soleil
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